L'étrange Machine

Auteur : Nouvelle- 133

Casimir a toujours vécu dans l'ombre de Adalbert.

Déjà à l'école primaire de Vertus, Adalbert se faisait remarquer par l'instituteur.  Il était brillant en classe et levait toujours le doigt pour répondre le premier. Casimir était toujours assis derrière lui, on le voyait à peine. En dehors de la classe Adalbert était un véritable chef de bande. Casimir suivait toujours, admiratif mais discret.

Lorsque Adalbert est tombé amoureux de la belle comtesse de  X, issue d’une famille de riches propriétaires  terriens , Casimir était chargé de faire passer les billets doux à la belle demoiselle. C’était facile pour lui de se glisser dans le jardin, de traverser les salons, personne ne le remarquait, il était pratiquement invisible.

Ensuite, lorsque Adalbert a été repoussé par la famille de la belle comtesse, de dépit il est parti travailler sur le chantier du chemin de fer de Bordeaux à La Teste. Comme à l’habitude Adalbert a réussi à se faire remarquer, il a sympathisé avec le jeune ingénieur Alphand, lequel n’avait que quatre jours de moins qu’Adalbert.

A Arcachon, alors un quartier de La Teste, Adalbert a su gagner les faveurs de Marie-Anne Robert, dite Nelly, une riche propriétaire terrienne. Ils se marient le 7 mai 1845. Casimir évolue toujours dans le sillage et dans l’ombre d’Adalbert. Il est si discret que Nelly le connait à peine.

Grace à une habile spéculation immobilière sur les terrains de son épouse, Adalbert décide en avril 1853 de construire un magnifique château en bord de mer.

Ce château est l’exacte réplique du Château de Boursault habité par son amour d’enfance, la comtesse de X . Adalbert n’a construit son château que pour se venger d’avoir été repoussé lorsqu’il était jeune par cette hautaine famille. D’ailleurs, les armes du château comportent un cœur percé d’une flèche ! Peut-on être plus clair ?

Casimir vit modestement au sous-sol, les autres étages sont consacrés aux œuvres d’art de la collection de Adalbert. Adalbert n’habite pas le château mais la villa Saint Georges.

Le 2 mai 1857, comme appelé par une voix intérieure, Casimir est pris d’un besoin irrépressible d’explorer les sous-sols du Château. Il est près de minuit lorsque que Casimir, muni d’un bougeoir descend dans les antres des fondations. On n’entend qu’un léger vent de nord-ouest qui souffle sur Arcachon. Il ne sait pourquoi, Casimir est attiré par une excavation au nord du Chateau, là où parait-il des druides se retrouvaient à la pleine lune dans les temps très anciens.

Il perçoit comme un appel, lui le modeste factotum des grands de ce monde. Il devine un vrombissement dans le sol. Il saisit une pelle et se met à creuser frénétiquement comme possédé par l’esprit des anciens druides. Il halète sous l’effort, se défait de sa veste puis de sa chemise. Enfin après une heure d’efforts il découvre la source du bruit. Il s’agit d’un cylindre de trois pieds de long et d’un pied de diamètre. Il émet continument un bruit très doux et semble briller dans le noir. Cependant il est parfaitement lisse et propre comme s’il venait de sortir d’un atelier de maréchal ferrant. Casimir tente de le soulever mais le cylindre pèse le poids d’un cheval mort, il semble avoir une densité supérieure à vingt fois celle du plomb.

Cette nuit-là, Casimir peine à s’endormir, Il se sent investi d’une mission. Il rêve qu’il chevauche l’Étrange Machine comme un fougueux destrier, pourchassant les ennemis de Adalbert, de la France en général et « ad Majorem Dei Gloriam » comme dit souvent l’abbé Mouls. L’abbé est un familier de la maison depuis qu’Adalbert lui a payé l’orgue de sa nouvelle église.

Consulté au matin, Adalbert conseille à Casimir d’éviter d’abuser des bons vins de La Teste, alors que Casimir n’a bu que de l’eau de la source Ste Anne.

Chaque soir Casimir se rend près de l’Étrange Machine, elle est toujours brillante, reluisante et étonnement propre, comme neuve. Elle vrombit doucement dans le noir. De temps en temps elle a un sursaut ou émet une lumière comme pour signaler qu’un évènement important s’est produit quelque part dans le monde.

Une grande tempête sévit sur le Bassin d’Arcachon ce 10 octobre 1959.  

Ce même jour, Napoléon III, l’impératrice Eugenie et le petit Prince visitent enfin Arcachon.  Le Maire et l’abbé Mouls n’ont pas épargné leurs efforts pour obtenir enfin cette visite.

Casimir s’est réfugié dans les sous-sols du château, comme chaque fois qu’il est inquiet. La proximité de l’étrange Machine lui procure toujours calme et sérénité.

Sous l’orage et les bourrasques de vent, le Maire Lamarque de Plaisance, accueille l’Empereur à la gare avec la nouvelle devise de la ville : « Hier Solitude, Aujourd'hui Bourg, Demain Cité ». A l’instant où le Maire prononce cette  devise prémonitoire, la machine est prise de joyeuses vibrations qui étonnent Casimir.

Dûment informé de ces péripéties, Adalbert commence à s’inquiéter pour la santé mentale de Casimir et change les serrures de la cave à vin qui contient d’excellents crus du Médoc comme de La Teste et de Gujan.

Casimir a remarqué que l’Étrange Machine comportait sur le dessus un panneau rectangulaire tenu par quatre vis aux formes inhabituelles. A force d’efforts et d’ingéniosité il parvient à dévisser le panneau, il découvert alors sous le panneau des petites fenêtres avec des chiffres. Un groupe de deux chiffres, un autre groupe deux chiffres et un groupe de quatre chiffres.

Ces chiffres bizarres ressemblent à des yeux de poisson, on pourrait dire que c'est comme des cristaux qui seraient liquides.

De jour en jour, ces chiffres changent quelquefois sans que Casimir n’en comprenne la raison.

Près des groupes de chiffre il y a comme des molettes bizarres.

Inquiet de qu’il a découvert, Casimir referme soigneusement le panneau et vaque à ses occupations de gardien du Château.

Le 31 Aout 1870 , Casimir se lève du pied gauche. Il a fait de mauvais rêves. Adalbert est furieux, il tente d’être enfin  Maire d’Arcachon et son ennemi de toujours ; Lamarque de Plaisance intrigue par tous moyens pour lui rendre la vie impossible.

Ce même jour, l’empereur Napoléon III à la tête de l’armée de Chalons forte de 120 000 hommes et de 560 canons est en route pour affronter l’armée prussienne commandée par Guillaume Premier de Prusse.

Le presse et le peuple de France sont inquiets, Adalbert ne lui a pas caché qu’une bataille perdue sonnerait la fin de l’empire. Qui sait ce qu’il adviendra alors de La France en général et d’Arcachon en particulier ?

Mort d’angoisse, Casimir se retire dans son sous-sol et se réfugie auprès de l’Étrange Machine.

Hélas, ayant tenté de noyer sa peine dans quelque alcool, il trébuche dans l’escalier, tente de retrouver son équilibre, sa main droite heurte la molette qui se trouve près du premier groupe de chiffres.

Bizarrement, les deux premiers chiffres qui indiquaient 31 passent à 02 et le deuxième groupe de chiffres qui indiquaient 08 passent à 09.

La tête de Casimir heurte le sol et il s’évanouit.

Le lendemain, le journal du matin est daté du DEUX septembre 1870. Il n’y a pas eu de premier septembre.

La défaite de Sedan n’a pas eu lieu.

Un siècle plus tard.

Le 2 mai 1957 le journal télévisé présenté par Pierre Sabbagh s’ouvre sur le centenaire de la ville d’Arcachon. Napoléon sept , Empereur de France, a invité Dwight David Eisenhower président des États-Unis et le tsar de toutes les Russies Grigory III.

Dans son discours « Napo7 » , rappelle que l’empire de France s'est développé depuis 1870, il a assuré la paix, la prospérité et la stabilité en Europe .

Ce même jour au Château devenu Casino de la plage, de nombreuses machines à sous au rez-de-chaussée brillent et cliquettent. Au sous-sol l'Étrange Machine est toujours là, elle compte les mois, les années et les siècles . De temps en temps elle a un vrombissement un peu plus rapide et émet d’étranges lumières.

Le petit Casimir a changé le cours de l'histoire.