L'empereur et le Goeland
Auteur : Nouvelle- 120
9 janvier 1873 : huit heures. Il pleut sur le comté du Kent.
Napoléon III, ancien empereur des Français, est couché dans la chambre de la résidence de Camden House à Chislehurt où il réside, en exil, depuis 1871, avec l’impératrice Eugénie et leur fils Eugène. (Louis Napoléon.)
Il est étendu, sur ce lit ; il souffre, il geint, sa respiration est stertoreuse et irrégulière.
Le professeur Henry Thomson envisage une troisième opération ce jour. En effet, l’empereur déchu souffre de « la maladie de la pierre ». La présence d’un volumineux calcul (lithiase) dans la vessie, provoque d’intenses douleurs, une infection urinaire, du sang abondant dans les urines (hématurie), une insuffisance rénale terminale. Le 2 janvier et le 6 janvier, le professeur Thomson, spécialiste réputé avait déjà tenté une lithotritie par voie naturelle. (Introduction d’une sonde par l’urètre pour « casser » le calcul, puis évacuation des fragments en urinant.) Napoléon III avait accepté ces interventions, d’autant plus qu’elles étaient sous anesthésie générale grâce à l’utilisation de chloroforme. (Technique utilisée depuis peu en Angleterre notamment lors des accouchements de la reine Victoria. On parlera dès lors d’« anesthésies à la reine ».) Malheureusement le résultat n’était que partiel, et la deuxième intervention dura bien plus longtemps que prévu et se solda par le réveil du patient dans de terribles souffrances…
Henri ! Henri ! Chuchote Napoléon… s’adressant au Docteur Henri Conneau. Il est le médecin personnel de l’empereur mais surtout l’ami de toute une vie. 43 ans avant, au hasard d’une conspiration anti papiste, les deux hommes se sont rencontrés et ne se sont jamais quittés. (Emprisonnement, évasion, gloire… ils ont tout partagé.) Et pourtant certains lui reprocheront d’avoir tu le diagnostic de « maladie de la pierre » à Louis Napoléon Bonaparte, de lui avoir conseillé à tort des cures thermales (Plombières, Vichy.) aux effets délétères pour les coliques néphrétiques. Il ne voulait pas inquiéter l’impératrice et l’empereur, ou risquer en dévoilant le diagnostic de diminuer l’autorité de la France dans cette période de tension franco prussienne.
Dès 1853, les premiers signes de la maladie apparaissent et lorsqu’il part en septembre 1870 pour la bataille de Sedan, des heures à cheval provoquent douleurs insoutenables, fièvre, sang dans les urines et il est obligé de garnir son pantalon. Associé à l’utilisation excessive d’antalgiques, on peut comprendre que l’état de dégradation physique et morale de l’empereur puisse être une des raisons de l’humiliante défaite historique.
Henri, Henri… je souffre !.
Le Docteur Conneau a compris que l’on arrivait vers la phase terminale d’une vie. Il n’hésite pas à lui administrer à nouveau du laudanum, du chloral, de l’opium…
L’association de ce cocktail de médicaments avec le chloroforme des anesthésies récentes soulage un peu Napoléon, mais provoque aussi un état de désorientation, de confusion, et son esprit part alors en voyage. Il entend cette pluie qui tambourine sur les vitres….
Il pleut à Arcachon.
10 octobre 1859 : 13h45
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Il sort de la petite gare, merveilleusement décorée, accompagné de l’impératrice et du petit prince âgé de trois ans et demi, et de tout un aréopage de courtisans. La tempête fait rage et pourtant une foule immense l’attend. Ils sont tous là, les édiles, la population locale, des Landais sur leurs échasses ; tous trempés et transis par cette dépression d’automne typique du bassin !. Il revoit un petit garçon offrir une superbe maquette de bateau au jeune Eugène. Mais de bateau, ils n’en feront point. Le coup de vent, annule le défilé nautique et la balade sur l’un des avisos à vapeur… Malgré les vivats de la foule, Napoléon est déçu…
Dans la chambre du patient, l’impératrice a fait rentrer un prêtre ; il approche doucement. L’empereur le dévisage. Il ne le distingue pas très bien, et son esprit s’échappe à nouveau. Les médicaments, la fumée de la cheminée qui refoule … il croit reconnaître l’abbé Xavier Mouls. Ce curé d’Arcachon qu’il a décoré de la Légion d’honneur devant la petite chapelle des marins. Comme lui, c’est un mal-aimé, injustement mal-aimé. Il a tant fait pour sa ville. Il était passionné, multi talentueux, il a organisé des fêtes dont la procession nautique qui deviendra une institution, s’est intéressé à la culture de l’huître, a fait construire l’église Notre-Dame, fondé une société scientifique, créé un orphelinat… c’était un hyperactif. Pour finalement être rejeté et connaître lui aussi l’exil. Puis ses souvenirs quittent l’église d’Arcachon. Ils prennent rapidement la direction de la villa « Alma », ou la maréchale de Saint Arnaud les attend, sans même apercevoir ce Landais sur des échasses, tenant dans ses bras une poule, la veste en mouton et l’animal dégoulinant d’une pluie glacée. Le petit prince pourra se reposer au premier étage de la jolie demeure. Napoléon, lui, admire le bassin déchaîné, et remarque la présence sur le balcon d’un jeune goéland argenté s’appuyant sur une seule patte, venu lui aussi se reposer. Puis ils vont repartir très vite, et il comprend que l’impératrice n’aime pas Arcachon et qu’elle ne reviendra jamais.
La respiration est de plus en plus difficile. Il essaie de prononcer quelques mots, quelques phrases… pas toujours compréhensibles : « Henri ! Tu étais à Sedan, nous n’avons pas été des lâches n’est-ce pas ;et Solferino, tu te souviens ?. » Le Docteur Conneau demande que l’on fasse des fumigations d’eucalyptus et de menthol. Immédiatement, ces odeurs balsamiques le transportent à nouveau vers le bassin et les Landes qu’il a tant aimées. Nous sommes à Arcachon, cette fois-ci en octobre 1863 sans l’impératrice ni leur fils. Il se retrouve au balcon du magnifique chalet Péreire. Il est le seul à remarquer à nouveau, la présence de ce goéland argenté, adulte désormais, toujours sur une patte posé sur le dossier d’un banc sculpté en arbousier. Puis, il erre dans la ville d’hiver ; il contemple les magnifiques villas aux styles si variés… une pagode hindoue, un manoir gothique, un chalet alpin… (il y aura bientôt de plus en plus de ces magnifiques demeures ou viendront séjourner, bourgeois et aristocrates. Parmi eux, artistes, écrivains, compositeurs, et Arcachon « destination santé » deviendra vite la ville des arts et des lumières… Monet, Delacroix, Toulouse-Lautrec, Debussy, et tant d’autres séjourneront sur le bassin et s’en inspireront.) .Il arrive maintenant dans un parc, attiré par les sons d’un orphéon qui joue sous un kiosque. Puis il aperçoit malgré la brume des entrées maritimes, un immense palais, coloré, de « fer et de stuc » : c’est le casino mauresque. Il entre dans les salons. Des musiciens, vêtus de lins très fins, jouent pour un bal de charité.… Ils sont tous la. Les «estangeys » venus soigner leur phtisie ; des actrices poudrées, des écrivains, des artistes, venus de toute l’Europe…. Dans la salle de jeux il croit reconnaître Alphonse Lamarque de Plaisance qui s’entretient avec Émile Péreire et son neveu Paul Regnaud. Plus loin, un verre à la main le baron Haussmann et le Docteur Corrigan se retournent vers lui et veulent lui dire quelque chose… mais il ne les entend plus… et Valentine n’est pas venue…. Il ressort, toujours accompagné par ce fidèle goéland qui plane vers la « vallée » embrumée d’Arcachon… Un moment de lucidité : « Il n’est plus l’empereur des Français ». Et cela lui fait si mal.
Sa vue se trouble. Il ne distingue plus le blanc et le noir. Plongé dans ce rêve , il croit entendre quelques mesures de « la vie parisienne » d’ Offenbach. Cela apaise un peu son calvaire physique et moral. Il aime ce compositeur, lui aussi mal-aimé. Il veut croire, que peut-être, l’histoire adoucira ces injustes souffrances. (Abbé Mouls, Offenbach, Napoléon III…) il faudra laisser passer le vent. Il voudrait dormir, dormir. Il sait que bientôt il n’en finira pas de dormir et rêvera qu’un jour des Arcachonnais le fêteront, que quelques passagers de jolies pinasses qui croiseront au large de la villa « Alma » se souviendront qu’un petit prince au destin tragique y était venu se reposer quelques heures. Tout est flou maintenant, et pourtant, il croit voir un très vieux goéland argenté ,sur une seule patte, qui frappe la vitre avec son bec , puis, s’envole dans le silence glaçant de l’hiver anglais. Personne ne remarquera alors que de cette bouche ouverte et bientôt définitivement muette un dernier mot est murmuré, confondu avec le dernier souffle d’une vie : «ARCACHON »
9 janvier 1873 : 10h55.
Il pleut toujours sur le comté du Kent.
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