Lettres.. et le Néant.

Auteur : Nouvelle- 110


Honoré est né le 2 décembre 1830.


Son père était résinier, son grand père était résinier, mais Honoré rêvait d’être un « Monsieur » aux mains blanches. Il veut ressembler à ces messieurs avec redingote, haut de forme et gants en pécari qu’on voit dans l’hebdomadaire « l’Illustration journal universel» à l’épicerie du village.


L’instituteur communal M Pecarous lui-même fils et petit-fils de résinier , est devenu un « Monsieur» grâce à l’école normale du département crée par la loi Guizot de 1833. Il parle couramment avec Jean Hameau, le Maire de La Teste et même avec l’Abbé Mouls.

M. Pecarous l’encourage à passer le certificat d’étude. Sa mère Adeline, le soutient mais en secret. Son père Auguste, un rude travailleur, ne veut pas entendre parler de ces « bétéja » et contes de bonne femme. Un homme ça gagne sa vie à 12 ans dans la forêt et « basta ».


Le jour de ses 21 ans , le 2 décembre 1851, le prince président abolit la république en vue d’établir le second Empire. Honoré y verra comme une émancipation.


Féru de « progrès scientifique », Honoré aurait bien aimé travailler au « Bureau des télégraphes » mais ce concours comportait des épreuves de code Morse, discipline peu familière pour lui.

Grâce à son très bon niveau en Français de Paris, Honoré a été reçu au concours des postes. il doit se présenter le 2 mai 1857 à 7h précises à « la poste aux lettres » d’Arcachon qui se trouve au 11 avenue Euphrosine


[1]


Le décret de Napoléon III érigeant Arcachon en commune indépendante parait le jour même.


Ses parents de La Teste sont restés sur les quais de l’histoire. Lui, Il a sauté sur le magnifique navire qui vogue vers un avenir radieux et moderne: la Ville d’Arcachon.

Le bâtiment de la poste est magnifique au milieu de l’avenue, Honoré entre là comme dans le palais de Compiègne. Son poste de « brigadier- facteur » lui fait surveiller chaque jour le tri de plusieurs dizaines de lettres. La Poste est une institution. Chaque lettre confiée à La Poste est un bien précieux dont elle doit s’assurer de l’acheminer à bon port.


Le mois d’octobre 1863 a été particulièrement animé à la poste d’ Arcachon. L’empereur est venu le 4 octobre pour une visite éclair de 15h à 16h45. L’objet était de « Contribuer à la promotion de la Ville d'Hiver en cours de construction ». A la suite de cette visite un grand nombre de billets et de plis ont été échangés entre Arcachon, Paris et Bordeaux. Honoré et sa brigade sont sur les dents pour acheminer dans les temps cette grande marée de papier.

Honoré prend alors conscience que les gens qui envoient et reçoivent du courrier font partie de l’élite, ce sont des gens qui savent couramment lire et écrire en Français et pas dans le patois de La Teste qu’on parle dans son village.

Parmi ceux qui reçoivent le plus de courrier il y a bien sur bien les frères Pereire , Paul Régnauld, Adalbert Deganne, Charles Rhoné, mais aussi la famille Johnston dans leur magnifique villa Mogador au bord de la plage.

Recevoir du courrier c’est faire partie de ce monde merveilleux de gens riches et oisifs. Un monde où les femmes parées de toilettes magnifiques se promènent en calèche derrière une ombrelle élégante manipulée avec désinvolture.


Hélas du courrier Honoré n’en reçoit guère.


Un dimanche, en passant devant le « Bazar à 55 centimes » cours Ste Anne [2], Il est frappé d’une idée fulgurante : « recevoir du courrier ? Diable, il suffit de se l’envoyer soi-même !».


La première lettre qu’il s’envoie est importante. Il faut se présenter avec élégance mais modestie, mettre en avant ses qualités sans passer pour un bateleur, ne pas faire le « bére » ni non plus être « anujous ».

Il s’applique particulièrement dans les pleins et les déliés de la plume Blanzy-Pourre fabriquée à Boulogne sur mer. Il soigne l’orthographe comme la ponctuation. Un guide à ligne noires placé sous la feuille lui permet d’écrire bien droit et d’avoir un espacement régulier entre les lignes. Le buvard de réclame des cafés « la Phocéenne de torréfaction »  parachève le travail. L’enveloppe est joliment écrite et l’encre violette ressort bien sur le fond jaune pale. Enfin le timbre-poste à l´effigie de Cérès, déesse des moissons en service depuis 1848 est posé avec soin dans le coin de droite.


Quelle joie deux jours plus tard de recevoir du courrier.


Sa lettre lui parvient le 21 mai 1870. Il n’ose l’ouvrir et la laisse sur le bord de la toile cirée jusqu’à la fin du repas du soir.

Lire cette lettre est une véritable délectation pour Honoré. Il se découvre et décide de mieux se connaitre.

Le 21 mai c’est aussi la date de mise en place d’une nouvelle constitution. Plus de liberté est offerte à chaque citoyen, Honoré se sent pousser des ailes.


Sa logeuse le regarde désormais avec considération, un jeune homme qui reçoit du courrier c’est pratiquement un « Monsieur ».


Le rythme s’accélère : d’une lettre par semaine, il est maintenant à une lettre tous les deux jours, puis une lettre par jour.

Cette passion le dévore. La nuit il rêve à la lettre qu’il écrira au matin. Le soir il découvre SA lettre avec un émerveillement chaque fois renouvelé.


Il brule de l’impatience de se rencontrer.


N’ y tenant plus, Il se donne rendez-vous le 1 septembre 1870 au bout de la jetée d’Eyrac.


Le 1 septembre à 19 heure, il se donne la mort en sautant dans l’eau noire et glacée du Bassin d’Arcachon.


Le 1 septembre 1870, c’est aussi la défaite de Sedan et la fin du second empire.




[1] L’avenue Euphrosine sera baptisée en 1883 avenue Gambetta. La poste se trouvait là. Elle se déplacera au coin de l’avenue ou elle se situe actuellement vers 1900.

[2] Le cours St Anne est devenu le cours Lamarque, au « Bazar à 55 centimes » ou trouvait tout à bas prix.

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